5

Brandon écoute les bruits de la maison. Il est allongé sur le lit de cuivre, sous le ventilateur dont les pales ne brassent pas l’air assez vite pour apporter une quelconque amélioration à la moiteur régnant dans le bungalow. Peggy est partie à Miami faire le tour des agences de tourisme, qui enregistrent les inscriptions des vacanciers en vue de la prochaine plongée. C’est une routine qui ennuie Brandon. « Je suis fait pour vivre dans l’extrême, se plaît-il à répéter. Dès que l’intensité baisse, je préfère entrer en hibernation. »

Il a toujours été comme ça. Même dans son enfance. On disait qu’il avait le diable au corps. C’était faux, il éprouvait juste une terreur panique à l’idée de s’ennuyer. L’ennui c’est l’antichambre de la mort, quand ça lui tombe dessus il a l’impression d’être en train de devenir un zombie coupé du monde des vivants. Il serait prêt à se lancer dans n’importe quelle connerie pourvu que le manège se remette en marche. C’est ce qui l’a conduit à devenir cascadeur… Le besoin de vivre perpétuellement en « avance rapide ». Il n’a pas la moindre patience. Il n’ouvre jamais un livre. Il a le plus grand mal à regarder un film jusqu’au bout. Il est incapable d’attendre qu’un plat soit cuit à point.

— Tu abrèges, lui reproche Peggy, tu zappes, tu ne prends jamais le temps.

Il entend bouger dans la salle de bains, c’est Ma’ Jameson, une vieille bonne femme un peu dingue qui vient faire le ménage. Elle a l’obsession des cyclones ; chaque fois qu’elle s’amène ici, elle vérifie que Peggy a bien mis à jour sa panoplie d’ouragan : les conserves, l’eau minérale, les piles pour le transistor. Elle perquisitionne dans l’armoire à pharmacie pour faire la chasse aux médicaments périmés qu’elle collecte pour d’obscures œuvres de charité.

Brandon se moque souvent d’elle à ce propos.

— Vous allez les tuer, les pauvres, si vous leur filez ces saloperies ! ricane-t-il. Mais c’est peut-être ce qu’ils veulent, les mecs qui dirigent ces organismes. Si ça se trouve, ils travaillent pour la CIA.

Ma’ Jameson se défend avec vigueur, lui reprochant son manque de cœur. En ce moment, elle est encore en train d’examiner bouteilles et flacons, ses lunettes de lecture au bout du nez. Brandon la soupçonne de piquer des comprimés dans les tubes de tranquillisants pour son usage personnel. Il pense que la vieille est accro à la codéine et qu’elle a inventé cette histoire d’œuvre de charité pour se couvrir. Il est à peu près sûr qu’elle vole également des préservatifs pour ses petits-fils, car elle a la terreur du sida. C’est une maigre femme aux cheveux bleutés, aux allures d’infirmière retraitée, très digne. En réalité, elle n’a aucune connaissance médicale et aurait même un léger penchant pour le rhum.

Brandon se lève, nu. Il espère que son irruption va mettre en fuite la bonne dame. Il est assez beau, genre Elvis dans ses débuts, une goutte de « King Creole » dans le sang. 6 pieds 1 pouce. En dépit de son passé tumultueux de cascadeur, il n’a pas une cicatrice sur le corps, et pourtant il n’a jamais pris la moindre précaution.

— Je faisais les trucs les plus dingues, a-t-il expliqué à Peggy lorsqu’il l’a rencontrée. Je te montrerai des cassettes où on me voit.

Et il a cité des films célèbres, énumérant les scènes d’action où il a pris la place de la vedette.

— Tous ces mecs qui jouent les héros sur l’écran, a-t-il complété, ce sont de sacrés trouillards. Z’ont deux petits pois collés au fond du slip à la place des couilles. Dès qu’il y a un poil de danger, ils remontent dans leur caravane pour se faire polir les ongles par une manucure. Et dire qu’il y a des gens qui les prennent pour des surhommes !

Brandon ne ment pas ; des risques, il en a pris beaucoup. Beaucoup trop. Il a fait des choses invraisemblables, folles, suicidaires, sans jamais écoper d’une éraflure. Avec sa voiture, il a heurté des murs de brique, s’est jeté dans le vide depuis le quatrième étage d’un parking, il a roulé dans un canal rempli de pétrole enflammé. Il a même été parachuté d’un avion à cheval sur une Harley-Davidson !

— Je sais conduire tout ce qui a un moteur, dit-il. Bateau, avion, bulldozer, n’importe quoi.

Les metteurs en scène l’appréciaient parce qu’il n’hésitait devant aucune prouesse. Souvent, même, il en rajoutait, corsant l’idée initiale. Il semblait parti pour faire une sacrée carrière, mais les choses ont mal tourné.

Un type avec qui il devait faire une cascade à l’intérieur d’un camion en flammes s’est tué au cours de la séquence. On a murmuré que c’était la faute de Brandon qui – une fois de plus – avait cédé à la tentation d’en faire trop. Il y a eu une enquête, suite à la plainte déposée par la veuve du pauvre mec, mais il a été blanchi.

« Une simple fausse note, a-t-il pensé, ce sera bientôt oublié. »

Il se trompait. Il a eu un deuxième accident, avec un hélicoptère tombant dans la mer. La fille qui l’accompagnait s’est retrouvée avec la colonne vertébrale brisée. Paralysée à vie, elle a préféré se suicider une semaine après sa sortie de l’hôpital.

« Un porte-poisse… Ce mec-là porte malheur, faut pas s’en approcher. » Voilà ce qu’on a commencé à murmurer dans les studios. Il est devenu celui qui s’en tire toujours par miracle alors que les autres y laissent leur peau.

— Il y a des gens comme ça, a décrété une actrice frottée d’occultisme. On pourrait presque croire qu’ils ont passé un pacte avec le diable pour se tirer des pires situations. La mort ricoche sur eux. Au lieu de les atteindre, elle touche quelqu’un d’autre. Oui, c’est ça, ils font dévier le danger vers une victime innocente. Généralement on dit qu’ils ont de la chance, mais on se trompe, c’est autre chose. En réalité, ils se débrouillent pour que les innocents meurent à leur place.

Brandon sait que tout cela est absurde, hélas les gens de cinéma sont superstitieux. Dès que le bruit a commencé à courir, certains acteurs, plusieurs cascadeurs ont refusé de travailler avec lui. Quand il a demandé des explications, on lui a répondu :

— Tu es incontrôlable, tu fiches la trouille aux gens de la profession, voilà ! Ils n’ont plus confiance en toi, tu la joues trop perso. Tu cherches à te mettre en vedette sans jamais penser aux règles de sécurité. Même un cascadeur qui a les burnes aussi grosses que des pamplemousses doit savoir jusqu’où aller trop loin.

Brandon a tout de suite compris qu’on s’en tiendrait désormais à cette version. En réalité, on voyait en lui un porte-guigne.

Pour gagner sa vie, il a accepté de tourner au Mexique, dans des conditions effroyables, sans garantie de sécurité, même la plus élémentaire. Malheureusement, là aussi, les choses sont allées de travers. Un autre de ses partenaires s’est tué au cours d’une séquence d’escalade. Brandon, lui, s’en est tiré par miracle. Au lieu de tomber dans le vide, comme son coéquipier, il a atterri sur une saillie de la roche, à 3 mètres à peine au-dessous de l’endroit où la corde qui les retenait s’est rompue.

On a parlé de mauvais œil, de chance insolente (une sur un million !). Encore une fois cette stupide histoire de « ricochet » a circulé de bouche en bouche. Brandon Clare, l’homme sur qui la mort rebondit avant de s’en aller frapper quelqu’un d’autre ! Connerie !

Ce qu’on lui reproche, en fait, c’est d’être né sous une bonne étoile, d’avoir la chance dans le sang. Il a dû repasser la frontière, apprendre à vivre dans une caravane comme tous les paumés. Comble de malchance, un jour qu’il avait pris une fille en stop au bord de la route, un Mack chargé de poutrelles leur est rentré dedans sur la Tamiami trail. La gamine a été tuée sur le coup, Brandon s’est extirpé du tas de ferraille sans une éraflure. Il y avait heureusement des témoins, et sa responsabilité n’a pas été mise en cause, mais il a conservé de cette nouvelle aventure une mauvaise impression. « Et si c’était vrai ? » s’est-il surpris à penser la nuit dans son lit repliable, à l’arrière de la caravane du trailers park.

— T’y peux rien, gars, lui a dit un vieux machiniste, un dinosaure qui travaillait déjà aux studios du temps des films en noir et blanc. C’est ta malédiction. Quand il pleut sur toi, ce sont les autres qui sont mouillés.

 

*

 

Brandon fait irruption dans la salle de bains, mais il rate son effet. Ma’ameson lève les yeux au-dessus de ses lunettes de lecture pour examiner son pénis. Elle prend un air blasé pour lui faire comprendre qu’elle en a vu d’autres. Elle radote quelque chose à propos des médicaments périmés.

— Vous gardez trop de flacons sans étiquette, c’est dangereux, vous risquez de vous tromper et de vous empoisonner. Il ne faut jamais laisser les étiquettes écrites par le pharmacien se décoller.

Brandon ne l’écoute pas, improvise un pagne avec une serviette de bain et passe dans la cuisine pour boire un café.

— Laissez tomber, crie-t-il à l’intention de Ma’ Jameson. Rentrez chez vous, vous en avez assez fait pour aujourd’hui.

Il n’aime pas l’avoir dans les pattes.

La vieille renonce à trier les bouteilles et part en grommelant qu’ils n’auront qu’à s’en prendre à eux s’ils finissent par s’intoxiquer en avalant des remèdes périmés. Brandon ricane. Une porte claque. La Pinto de la mégère démarre dans un grand bruit de ferraille. Brandon peut enfin siroter son café cubain.

Il songe à sa rencontre avec Peggy, dans un bar à vin. Ce soir-là, ils étaient tous deux bien imbibés. Il connaissait Peg de vue. On racontait des choses à son propos : qu’elle était dingue, glauque. Certains la rangeaient dans la catégorie des dominatrices, d’autres voyaient en elle une vicieuse : « C’est le genre de fille à n’atteindre l’orgasme que dans un avion en flammes, chuchotait-on, à consommer avec modération. »

Ils se sont raconté leurs décalages mutuels. Elle, sa sœur assassinée, lui, sa malédiction.

— Faut pas m’approcher, a-t-il murmuré, j’attire le danger comme le paratonnerre attire la foudre.

— Ça tombe bien, a-t-elle soufflé. Il n’y a que la peur qui me maintienne en vie.

Voilà, leur association s’est bâtie sur ces bases. Elle est plus vieille que lui, mais ça ne se voit pas trop car elle est bien conservée pour une fille de 31 ans. C’est une marginale qui n’est pas encore parvenue à retomber sur ses pieds, ça la rend agréable à vivre. Jusqu’à sa rencontre avec Peggy, Brandon n’avait jamais réussi à vivre plus d’une semaine avec une femme. En règle générale, il les trouve chiantes, trop sérieuses, dépourvues d’humour et de fantaisie, obsédées par les responsabilités et les tâches ménagères. Il n’a jamais su quoi leur dire… mais avec Peg, les choses sont différentes. Là où une autre deviendrait agent immobilier pour gagner sa vie, Peggy fabrique des épaves en plastique. C’est cool.

Brandon pense à la conversation qu’ils ont eue la veille au soir. Cette histoire de cylindre métallique caché dans l’épave. Elle a décidé d’y voir une machination de Boyett visant à la ridiculiser aux yeux des flics. Peut-être bien. Mais c’est pas sûr.

Depuis un moment, Brandon cherche une combine pour se remettre à flot. Il n’a pas envie de devenir guide touristique sous-marin, c’est trop pépère, ça ne l’exalte pas. Ce serait mieux si les requins attaquaient, mais cela n’arrive jamais. Au début, quand il accompagnait Peg, il scrutait le fond, le fusil-harpon à la main, attendant qu’un squale surgisse pour en découdre. Ne voyant rien venir, l’ennui l’a saisi.

Pourtant il ne manque pas d’idées. Ainsi, la réserve où sont entreposés les squales du laboratoire lui a inspiré un trait de génie : pourquoi ne pas s’entendre avec les barons de la drogue de Miami et leur proposer d’y faire disparaître les corps encombrants ? Les requins n’en laisseraient pas une bouchée. Il suffirait de lui livrer les cadavres à la nuit tombée. Il se chargerait alors de les pousser dans le bassin…

Quand il a exposé son plan à la jeune femme, elle a choisi de considérer la chose sous l’angle de la plaisanterie.

— De toute manière, ça ne marcherait pas, a-t-elle déclaré. Les requins ne mangent pas tous les jours. Ils ont un cycle digestif très lent, en grande partie parce qu’ils ne mâchent pas les aliments. Par conséquent leur estomac reste longtemps rempli. C’est la raison pour laquelle on a parfois retrouvé dans leur ventre des débris corporels datant déjà de plusieurs semaines. Tes cadavres se décomposeraient bien avant que nos pensionnaires en aient fini avec eux. Et puis les morts ne bougent pas… Or les requins préfèrent attaquer les proies en mouvement.

Brandon n’a pas insisté. Il ne faut jamais demander leur avis aux femmes. Elles sont trop raisonnables, ça les empêche de se lancer. C’est pour ça qu’elles sont toujours restées dépendantes des hommes. Elles manquent de folie.

Il se verse une nouvelle tasse de café. Il n’a plus d’argent et il ne veut pas être entretenu. Il lui faut mettre quelque chose sur pied le plus vite possible.

« Et si j’allais voir Boyett ? pense-t-il. Si je proposais au Club de lui vendre le foutu requin qu’il attend depuis si longtemps, à l’insu de Peg, bien sûr. »

Mais il hésite. C’est une idée bancale. Il ne connaît pas grand-chose aux requins. Il pourrait bien sûr plonger dans la réserve pendant que la jeune femme s’occupe d’un groupe de touristes, mais comment capturer un squale sans l’aide de personne ? Car ce ne sont pas les béquillards du Club qui pourront lui prêter main-forte pendant l’opération ! Quand les toubibs du laboratoire viennent chercher un spécimen, ils débarquent avec une équipe de spécialistes. Ils utilisent des aiguillons électriques pour forcer le requin à entrer dans un container. Les mecs plongent à trois, habillés de combinaisons couvertes d’anneaux métalliques, comme les cottes de mailles des chevaliers du Moyen Âge. Un jour, Brandon a enfilé l’un de ces costumes de protection, il pesait au moins 15 kilos ! Une étiquette précisait que chacun d’entre eux était composé de 600,000 anneaux. En dessous, par mesure de sécurité, on revêt un maillot en Kevlar, la matière dont on fait les gilets pare-balles. Les dents des requins ne peuvent ni crever ni déchirer ce tissu synthétique.

— Il ne faut pas se leurrer, a soupiré Peggy, c’est indéchirable, c’est vrai, mais ça ne protège pas de la pression des mâchoires. Si l’on n’est pas mordu, on n’en est pas moins broyé. N’oublie jamais que les mâchoires du requin développent une pression de 3 tonnes au centimètre carré. C’est comme d’être pris dans une presse hydraulique. La chair compressée éclate comme celle d’une saucisse qu’on serrerait entre ses doigts.

Pour toutes ces raisons, Brandon s’imagine mal descendre seul dans le bassin. Et puis il n’aime pas Boyett car il devine que Peg n’est pas insensible au charme du bel infirme.

Quoi qu’il en soit, il lui faut du fric. Une mise de fonds pour se remettre à flot. Il aimerait mettre au point une sorte de cirque du danger où des mecs prendraient des risques incroyables sous les yeux du public. Il serait leur patron, et cette fois personne ne pourrait le mettre dehors. Il appellerait ça le rendez-vous des gladiateurs. Ça en jetterait un max. Il y aurait du sang sur la piste chaque soir, et le public se battrait à l’entrée. Dans sa tête, il a commencé à échafauder des numéros. Des accidents automobiles non truqués, par exemple, sur lesquels on pourrait parier. Des voitures se heurtant de plein fouet. Les conducteurs ne portant ni casque ni ceinture de sécurité. Il y aurait un gros paquet à gagner et il a la certitude qu’il recruterait vite des volontaires dans le public.

 

Il doit faire un effort pour reprendre le fil de ses réflexions.

Hier soir, Peggy lui a parlé du container de métal brossé. Elle a évoqué la possibilité d’une embrouille imaginée par Boyett. Brandon, lui, penche plutôt pour le trafic de substances illégales. Pas forcément la drogue, non, peut-être l’espionnage industriel.

Ou alors un médicament miracle dont la Food and drug administration refuserait l’entrée sur le sol des États-Unis.

Ils ont failli se disputer. Brandon voulait aller déterrer le truc, Peggy refusait. Il a fini par la convaincre. Ils sont allés creuser au pied du palmier, mais la bouteille en elle-même, pleine de liquide incolore, n’a rien d’excitant. Comment savoir ce qu’elle contient ? Pas possible de la faire analyser par un labo, alors ?

Brandon pense à Burly Sawyer. Un ermite qui vit au milieu des Everglades, autrement dit Bouillasseville, au sud de Miami, là où la cité se désagrège pour céder la place aux champs de citrouilles. Burly tient le milieu entre le sorcier indien et le bonze sur le point de s’immoler par le feu. Il a beaucoup voyagé, il sait des choses, il a vu des trucs dingues. Il était snipper au Viêt-Nam, il vivait dans les arbres, déguisé en singe, son fusil en travers des cuisses. Par la suite, il n’a jamais vraiment réussi à redescendre sur terre.

Une impulsion pousse Brandon à aller demander conseil à Burly. Ça représente un long chemin en voiture pour remonter les Keys et rejoindre Miami mais il ne voit pas à qui d’autre s’adresser… et puis il n’a rien de prévu aujourd’hui. Ni demain, du reste. Ni les autres jours.

Il s’habille, récupère le container dans le freezer où il était planqué et saute dans sa voiture, une vieille Buick Century.

Pendant le parcours, il ne pense à rien. Il est capable de faire le vide, ça le débranche du réel au point qu’il lui arrive de perdre la notion du temps. Quand il arrive au terme du trajet, il a l’impression de s’éveiller d’une sieste faite les yeux ouverts. Avec une aisance stupéfiante il glisse la Buick entre les énormes masses des Peterbilt, Western Star, Kenworth et autres Freightliner qui dévalent la piste dans le grondement de leurs moteurs.

 

*

 

Les Glades, le territoire de nulle part, une bouillie de terre, une éponge végétale qui s’émiette sous les infiltrations venues de l’océan. C’est fibreux, proliférant, maladif ; ça pousse et ça se délite en même temps, avec, par là-dessus, un brouillard de moustiques qui vous entrent par tous les orifices, les oreilles, les narines pour vous dévorer cru. Brandon estime qu’il y a à peu près autant de moustiques dans les airs que de brins d’herbe sur le sol. Dès qu’on quitte la route, on court le risque de se trouver nez à nez avec un alligator. Il y a des accidents tous les ans : des chiens qui disparaissent dans la gueule des crocos embusqués, des touristes qui s’obstinent à vouloir faire trempette dans les marigots en dépit des panneaux d’interdiction… ou qui essaient de nourrir les sauriens comme s’il s’agissait d’animaux familiers. Brandon en a vu qui allaient à la rencontre des alligators, un beignet à la confiture à la main !

Toute une faune vit là, rescapée d’une autre époque. Des bêtes mais aussi des hommes, en rupture avec la société. Humanité de braconniers qui écorchent les grands lézards pour fournir en cuir les marchands de bottes texanes. Les Indiens ne sont pas les derniers à s’introduire en fraude dans les réserves pour voler les œufs de croco dont ils sont friands. Les gardes forestiers leur font la chasse, parfois cela se termine assez mal.

Brandon passe devant l’entrée du parc de Florida Bay sans s’arrêter. Seule une partie des Glades est protégée. (Heureusement ! Sinon les flicards seraient partout !) On y a construit des chemins sur pilotis pour les touristes, avec de petits panneaux plantés çà et là qui vous expliquent ce qu’il faut regarder. On a même ouvert des campings. Brandon pense qu’il faut être singulièrement taré pour vouloir passer la nuit au pays des maringouins, mais tous les goûts sont dans la nature, pas vrai ?

Il atteint enfin la zone franche de ce que les Indiens appelaient « le fleuve d’herbe »… Pa-hay-Okee.

Il s’arrête sur une aire de stationnement en se demandant pourquoi on ne coule pas une belle dalle de béton sur cette saloperie de marigot.

6,000 km de marécage, ça en représente du terrain à bâtir ! Et on serait enfin débarrassé de ces foutus moustiques !

Il loue pour quelques dollars une pirogue en aluminium chez un vendeur d’appâts. Le canot bosselé s’engage entre les hautes herbes élastiques. L’eau est à la fois partout et nulle part ; des couloirs qu’on ne distinguait pas la seconde précédente s’ouvrent sous la pression de l’étrave. Brandon pagaie avec ardeur. Il va chez Burly Sawyer, le vétéran, un vieux type qui n’a jamais pu se ré-acclimater à la vie citadine et s’est réfugié là, dans l’enfer des Everglades. Il y mène une existence de guide, de braconnier, et cultive son personnage de marginal en vivotant dans des conditions inimaginables.

Brandon l’a rencontré sur le tournage d’un film, alors que, l’équipe tournait quelques plans dans les marécages. Le côté suicidaire du cascadeur a séduit le vieux soldat. Ils se sont revus par la suite. Le rituel est toujours le même : Brandon loue un canot en aluminium, le charge de packs de bière, ajoute une ou deux bouteilles de whisky et s’enfonce dans la mangrove.

Burly est un vieux dingue de 65 ans. Les cheveux longs et blancs lui croulent sur les épaules. Il porte un gilet, un pantalon en peau de requin (une matière 300 fois plus résistante que n’importe quel autre cuir, et à l’élasticité incomparable). Une panoplie inusable avec laquelle on l’enterrera s’il ne se fait pas bouffer par un alligator. Comme beaucoup de survivants du Viêt-Nam, il est un peu barge, la tête remplie de conneries mystiques : le Tao, le Zen, les forces de la nature. Il est superstitieux en diable, persuadé qu’il a survécu au « Merdier » parce qu’il a su porter les bonnes amulettes, les bons grigris. Il ne faut pas le contrarier car il devient vite méchant, et c’est un tueur redoutable malgré son âge. Les crocodiles des marais l’ont appris à leurs dépens. Il habite une cabane enracinée sur un hammock, une sorte d’îlot constitué de racines entremêlées, de mousse et autres saloperies où des bestioles gigotent toute la journée. Brandon ne pourrait pas vivre comme ça, dans la crasse, la moiteur et les mouches, mais Burly répète sans cesse que « Les Glades, c’est Disneyland comparé au Viêt-Nam ».

— Les crocodiles sont dangereux, admet-il, mais ils sont bêtes, c’était pas le cas des petits hommes jaunes, là-bas.

Peut-être qu’il en rajoute pour faire le fanfaron devant un jeunot ? Peut-être aussi qu’il a réellement fondu un fusible ? Sa cabane est une horreur, mieux vaut se dispenser d’y entrer et rester sous le vent. Il y a pendu son béret des Airborne Rangers à un clou, comme un crucifix. Et quand il est pété, il chante l’hymne de son escadron : Pray for war. Tout un programme.

Au début, Brandon amenait des journaux de cul, avec des pages centrales dépliantes de toute beauté, mais Burly lui a dit qu’il pouvait remballer sa camelote, ça ne l’intéressait pas. Il est détaché de la chair, paraît-il. Un truc bouddhique : on se débarrasse de tout désir, on apprend à ne plus avoir envie de rien. Burly appelle ça la sérénité, Brandon trouve que ça ressemble plutôt à l’existence que doit mener un cadavre embaumé.

Malgré tout, il aime bien Burly. Le vieux grunt lui a appris des choses essentielles qui peuvent servir dans la vie de tous les jours. À différencier les alligators des crocodiles, par exemple. Les premiers ont la tête en forme de U, les seconds en forme de V (ou le contraire… ? Brandon ne se rappelle plus très bien) mais ce sont là des trucs qui comptent vraiment, pas des conneries apprises dans les bouquins.

 

L’ancien soldat l’a entendu venir. Croyant à une inspection des gardes forestiers, il s’est planqué. Il s’est fabriqué une planque très chouette : un crocodile momifié long de 4 mètres, complètement creux à l’intérieur, et qui s’ouvre tel un coffre. Dès qu’il se sent menacé, Burly s’y allonge, referme le « couvercle » sur lui, et attend que le danger s’éloigne. Qui aurait l’idée d’aller agacer un alligator à demi enfoui dans la vase ? Il surnomme la bestiole son « canot de sauvetage ».

— C’est moi, gueule Brandon. Le visage pâle amène de l’eau de feu pour l’homme-médecin.

Le vieux émerge de sa cachette. Impressionnant, style Clint Eastwood décharné jouant dans un remake de Kung-fu revisité par un metteur en scène défoncé à l’acide. Il a de très grosses mains, un peu étonnantes chez un homme aussi maigre. Beaucoup de nerfs et tendons à fleur de peau. Des mouvements rapides de reptile qui mettent mal à l’aise.

Ils s’installent, déconnent, boivent trois canettes de Blue Ribbon chacun, histoire de s’échauffer. Le zen lui a pas passé le goût de la bière, au vieux ! Brandon sort le container métallique, expose sa provenance en trois mots, mais le braconnier ne l’écoute pas, on dirait que quelque chose a fait tilt en lui. La forme de la bouteille, ou on ne sait quoi…

Burly se penche sur le flacon dont il a fait sauter le bouchon caoutchouté. Une drôle d’expression passe sur son visage, mélange de mélancolie et d’incrédulité.

— Bon Dieu ! On ne peut pas se tromper, c’est inimitable, murmure-t-il, je croyais bien ne plus jamais sentir cette odeur-là. Où as-tu trouvé ça ? Brandon lui explique.

— C’est de la dope ? demande-t-il. Burly a un rire lourd.

— Ouais, ricane-t-il. On peut dire ça comme ça. Une sacrée dope, mais pas le genre que tu imagines. Pas le petit machin qui vous fait planer. Là-bas, au Nam, on en parlait en chuchotant de ce truc. C’est une arme, une arme liquide, pas une petite connerie chimique pour jeunots cherchant à se donner des sensations.

Il hésite à poursuivre. Brandon devine que le vieux est sur le point de balancer le flacon dans l’eau saumâtre du marigot. Comme s’il avait la trouille de ce morceau de passé qui vient de le rattraper, là, dans un refuge où il se croyait pourtant coupé du reste du monde. Burly se racle la gorge et finit par dire :

— C’est un produit mis au point par les laboratoires de la Shadow Company, les détachements avancés de la CIA, les soldats fantômes, si tu préfères… Des tueurs qui n’existaient pas officiellement. Des bataillons dont l’Armée feignait d’ignorer l’existence. C’est sur eux qu’on testait ce truc.

— Ça servait à quoi ?

— C’est un accélérateur de métabolisme. On lui donnait des tas de surnoms : l’élixir de Superman, les chaussettes de Peter Pan, l’œil de la mouche…

— L’œil de la mouche ? Ça veut rien dire.

Burly esquisse un geste irrité.

— T’y connais rien, grogne-t-il. Pour une mouche, tout ce que fait un homme est d’une incroyable lenteur. Même le mouvement le plus rapide lui apparaît comme filmé au ralenti. Ça tient à ce que le métabolisme d’une mouche tourne dix fois plus vite que le nôtre. C’est pour cette raison qu’il est si difficile d’attraper un insecte volant. Il nous voit venir à l’aise avec nos gros sabots. Ce produit, les types des labos clandestins l’ont mis au point pour le tester sur certains soldats des commandos. Une fois que ce truc te coule dans les veines, tu deviens comme la mouche dont je te parlais tout à l’heure. Rapide, fichtrement rapide, dans un monde incroyablement lent.

— Hé, tu déconnes ? ricane Brandon (mais il sait déjà qu’il a envie d’y croire).

Burly ne l’a même pas entendu, perdu dans ses souvenirs, il continue à monologuer d’une voix proche de la transe.

— J’ai connu des types qu’en avaient pris, souffle-t-il. Ils disaient qu’avec cette dope on voyait les balles de fusil s’approcher au ralenti, centimètre par centimètre, et qu’on pouvait les éviter sans problème. Il paraît qu’elles se déplaçaient dans l’air comme des billes noires et qu’il était possible de les faire dévier de leur trajectoire en leur tapant dessus avec une poêle à frire. Ça les amusait autant que le base-ball.

— C’est vrai ? interroge Brandon, la gorge soudain sèche.

— Ouais, martèle Burly Sawyer, imagine un monde de lenteur où tout mouvement met une éternité à s’accomplir, et toi tu te déplaces au milieu de tout ça, rapide comme l’éclair. Ta vitesse s’est décuplée. Tu peux éviter les balles, les bombes, tu prends l’ennemi de vitesse. Tu es si rapide que les tireurs ont le plus grand mal à te distinguer. Tu n’es plus pour eux qu’une silhouette floue, une ombre, peut-être même que tu es complètement invisible ! Alors ça devient un jeu d’enfant de cavaler jusqu’au nid de mitrailleuses qui canarde les copains et de liquider les tireurs. C’est du gâteau de t’infiltrer dans les bases ennemies, même en plein jour, et de faire sauter l’arsenal, les avions, les hélicos… puisque personne ne peut te voir. Tu files comme le vent, si vite que l’œil humain ne parvient pas à enregistrer ton image. Et les autres sont là, autour de toi, figés comme des statues. On dirait des lapins mécaniques dont les piles sont usées.

— C’est à ça qu’on le destinait, ce produit ? à des actions de sabotage ?

— Ouais. Aux opérations « éclair »… Liquider les tireurs embusqués, tomber sur l’ennemi avant qu’il ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrive.

— Et ils l’ont testé, je veux dire, en vrai, sur des mecs ?

Burly hoche affirmativement la tête.

— Bien sûr, mais c’était pas sans danger. Les premiers sont morts de crise cardiaque. Leur métabolisme s’emballait. On raconte que lorsqu’on les ramassait, ils avaient vieilli de 30 ans en une demi-heure. Les rides, les cheveux blancs, tout quoi ! Des petits vieux… C’était le contrecoup de la drogue.

— On dirait une connerie de film de science-fiction. J’ai déjà vu des trucs comme ça dans Twilight zone.

Le visage de Burly se ferme. Sa grosse main se verrouille sur le bras du jeune homme et le serre, jusqu’à la souffrance.

— M’accuse pas de mentir, trou-du-cul ! gronde-t-il. Je n’invente rien, j’ai des copains qui ont participé aux essais. Ils étaient prêts à tout pour sortir du Merdier. Ils se disaient qu’en voyant venir les balles ils auraient peut-être une chance de revenir vivants au Vieux Pays. J’ai parlé avec eux. Ils disaient que c’était sensas, vrai de vrai, que c’était comme si tu te baladais dans un film au ralenti, en conservant ta vitesse normale, mais qu’en réalité c’était l’inverse qui se passait. Quand tu prends cette dope, les autres te semblent lents parce que toi tu vas vite. Très, très vite. Le problème c’est qu’on ne peut pas s’injecter cette merde bien longtemps. Y a tout de suite des effets secondaires, dès la troisième piqûre.

— On se met à vieillir ?

— Non, mais la peau s’enflamme sous le frottement de l’air. C’est comme pour les capsules spatiales qui rentrent dans l’atmosphère, le frottement les chauffe à blanc, tu as déjà vu ça à la télé… Là, c’est pareil. Tu as l’impression de courir dans un vent brûlant, si brûlant que tout ton corps se couvre de cloques. Au retour des missions d’infiltration, les mecs s’écroulaient, brûlés au troisième degré, pas beaux à voir. C’était le prix à payer. Le prix de l’invisibilité.

Brandon regarde le flacon. Un produit qui vous rend invisible… enfin, pas vraiment, mais d’une certaine façon. Il essaie d’emboîter les hypothèses dans sa tête. Une idée germe en lui, encore floue.

— Et si on se contente d’une ou deux injections ? hasarde-t-il. Y a pas de conséquences ?

 

Burly hausse les épaules.

— Sans doute pas, ça dépend de la constitution de chacun. L’ennui avec ce machin, c’est qu’on en devient dingue. Les gars à qui on l’avait injecté voulaient y repiquer, malgré les brûlures, les cheveux qui foutaient le camp. Ils voulaient tous connaître ça une nouvelle fois. L’impression d’être hors du monde, tu vois ? De pouvoir tout maîtriser. Imagine une voiture qui arrive à cent à l’heure droit sur toi, dans la réalité elle t’écrase comme une merde de chien. Là, grâce à la dope, tu la vois s’approcher comme si elle avançait seulement de 15 centimètres à la minute, tu as tout le temps de l’éviter. C’est pas seulement de la vitesse, ce truc, c’est du temps sous forme liquide. Du temps injectable.

Brandon ne l’écoute plus que d’une oreille distraite. Les délires du vieux, il s’en fiche. Il pense à autre chose.

— Un hold-up…, dit-il soudain. Un type qui s’injecterait ça, tu crois qu’il pourrait entrer dans une banque, piquer le fric et sortir au nez et à la barbe des gardes, sans que quelqu’un ait le temps de le voir faire ?

— Probable, grommelle Burly. C’est pour ça qu’on l’a inventé. Des coups de main rapides, comme tu dis, au nez et à la barbe de l’ennemi.

Brandon ferme à demi les yeux. Il se voit, filant comme le vent, silhouette grise déguisée en courant d’air, un fantôme transparent, bleuâtre, qui zigzague entre les clients. Il passe de l’autre côté des guichets, il prend les liasses de billets, les jette dans un sac. Tout se déroule en quelques fractions de seconde. De même qu’on ne peut voir une balle jaillir du canon d’un revolver, on ne peut surprendre son image. C’est à peine si les caissiers ont le temps de remarquer un nuage de fumée. Ils se massent les yeux, persuadés que leur vue se brouille. Brandon est déjà dans la rue. Il slalome entre les passants, si lents qu’ils ont l’air de mannequins plantés dans le trottoir, tels des arbustes en pots.

— Je sais à quoi tu penses, grasseye Burly. C’est jouable, mais faudra prendre tes précautions. Les billets, faudra les ranger dans un sac ininflammable, sinon ils prendront feu… et toi, il faudra également que tu portes un costume en amiante, comme les pompiers, sinon ta peau sera arrachée par le frottement de l’air. C’est de cette manière qu’on a fini par les équiper, les gars des commandos… On aurait cru des pompiers du pétrole ; tu sais, les mecs qui éteignent les puits en flammes. Et même de cette façon ce sera pas facile. Tu auras l’impression de traverser un incendie. De plonger dans le ventre d’un volcan.

— Ça dépend de la dose qu’on s’injecte, non ?

— C’est vrai. Mais si tu veux aller vraiment vite, il te faudra la maxi-dose. Avec une petite injection, tu te mettras simplement à courir comme un champion olympique, pas davantage. Pour devenir invisible, tu devras t’envoyer dans les veines une pleine seringue de cette merde.

Brandon examine le contenu de la fiole. Combien de shoots possibles ? Pas des masses. Une demi-douzaine ?

— Comment c’est arrivé dans l’épave, ce truc ? marmonne-t-il.

Le vieux hausse les épaules.

— Probable que c’est la dernière bouteille du produit, hasarde-t-il. Quelqu’un avait dû en garder une souche quelque part, là-bas, en Asie. Il attendait de trouver preneur. C’est pas évident à vendre un machin comme ça. Personne ne veut y croire, et quand tu fais l’article, t’as l’air d’un allumé de première. Toi-même, en ce moment, est-ce que tu me crois vraiment ?

— J’sais pas.

— Tu vois bien !

Brandon réfléchit. Cette dope, c’est un signe du destin, une perche qu’on lui tend. Il sait bien que, de nos jours, si on n’a pas fait fortune à 30 ans, on n’est qu’une merde, un débris. Le succès, ça se joue très jeune, de plus en plus, y a qu’à regarder les stars de la chanson. À partir de 30 ans, on est sur la mauvaise pente, alors on occupe le reste de sa vie à claquer le pognon qu’on a engrangé durant sa gloire. À déjà 25 ans bien sonnés, il ne lui reste plus tellement de temps pour se constituer un trésor de guerre. Il referme la main sur le flacon. Il a décidé de croire aux folies que vient de lui débiter le vieux soldat des marécages. Il n’a pas peur, il sait qu’il est né sous une bonne étoile, qu’il a la chance dans le sang.

— Fous-le en l’air ou prends-en bien soin, conclut Burly. Et garde-le bien bouché. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans mais ça s’évapore vite. Un quart d’heure à l’air libre et il n’en restera plus une goutte. Haute volatilité, disaient les toubibs. À mon avis, c’est pour cette raison que tout ce qu’on tenait en réserve a disparu. Tu as entre les mains le dernier dinosaure vivant créé par la Shadow Company. À toi de juger s’il vaut mieux lui tordre le cou ou le laisser vivre.

Baignade accompagnée
titlepage.xhtml
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Brussolo,Serge-[Peggy Meetchum-2]Baignade accompagnee(1999).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html